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A ce moment là, je parcourais l'année de mes 14 ans. Après la
bataille que nous avions faite, pour savoir qui ferait les basses
tâches de la semaine, chacun d'entre nous rentrait chez lui. De mon
côté, avec le prince, nous allions en direction du château. Ce
n'était, bien entendu, pas ma maison, mais comme j'étais orphelin –
mes parents étaient morts lors de la grande guerre – les chefs de
guerre de la maisonnée royale m'avaient pris sous leur aile, en
mémoire de la mort héroïque de mes parents. Ils étaient en
quelque sorte mes tuteurs.
Je raccompagnais donc le prince, qui, en plus d'être important aux
yeux de tous, seul héritier du trône à ce jour, était faible de
nature. Il avait beau être endurant, ou du moins nous le faire
croire – il était toujours le dernier debout lors des batailles –
dès que la température chutait de quelque degrés ou que les arbres
relâchaient leurs pollens, il était obligé de passer plusieurs
semaines cloué à son lit, vidé de toutes ses forces. Suivant les
périodes de l'année, il lui arrivait aussi d'avoir des crises de
faiblesse, au cours desquelles il perdait toutes ses forces, et
s'effondrait sur le sol, sans raison apparente. Cela lui était très
pénible, car lorsque ces crises arrivaient, et qu'il chutait sur le
sol, il restait malgré tout conscient. Ces crises étaient pour lui
une grande honte. Il en était venu à abhorrer la faiblesse qui
l'habitait, si bien que lorsqu'il se sentait faible, il faisait mine
de ne pas l'être, et s'épuisait physiquement jusqu'à ne plus
pouvoir rien faire. Par trois fois, il avait failli en mourir.
Officiellement, je restais avec le prince pour prendre les choses en
mains en cas de crise, mais j'avais pour mission officieuse, d'après
la demande de son père, notre roi, de veiller à ce qu'il n'en fasse
pas trop et ne mette pas sa vie en danger.
Nous devisions donc en rentrant à la forteresse. Nous allions vers
la salle du trône, dans laquelle Nardis et moi recevions nos cours
de lettre. Craignant d'être en retard, nous arrivâmes là bas en
courant, ne voulant pas de nouveau subir les assauts rageurs du
magicien de la cour, qui nous éduquait. Il était connu pour
détester le retard.
Lorsque nous pénétrâmes dans la salle du trône, nous fûmes
quelque peu étonnés. En effet, cette salle habituellement vide à
ces heures là, était pleine d'activité. Les généraux, les
prêtres de la cours, ainsi que les représentants du peuple étaient
tous assis autour d'une grande table, pris dans une réunion
houleuse. Nardis remarqua que le mage brillait par son absence. Aucun
des adultes présents ne fit attention à nous, pas même le roi, qui
semblait particulièrement sombre en ce jour.
Ne comprenant guère ce qu'il se passait, notre première réaction
fut d'agir en adolescents que nous étions, c'est à dire de nous
réjouir de l'absence de cours. Nardis, joyeux, parti dans sa
chambre, et me donna rendez-vous pour le repas du soir. Nous nous
saluâmes, et il sorti de la salle. C'était la dernière fois que
je le vis, bien que je ne m'en doutais pas encore. Quand j'y repense,
j'aurais pu me rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond
ce jour là, et peut être aurais-je pu éviter la mort de certain de
mes compagnons.
Anxieux, comprenant que quelque chose de grave arrivait, peut être
grâce à l'éducation militaire que je recevais de la part de mes
tuteurs, je me mis à la recherche de quelqu'un qui pourrait me
renseigner. Je savais par expérience qu'il ne fallait pas
interrompre les adultes lorsqu'ils se retrouvaient pour ce genre de
réunions, c'est pourquoi je fis le tour de la pièce, le plus
discrètement possible, pour trouver quelqu'un qui serait plus apte à
me répondre.
Cette personne fut un serviteur, qui entra dans la pièce peu de
temps après le départ de Nardis, apportant des rafraîchissements
et des fruits aux personnes réunies. Je réussis à l'attraper au
vol, avant qu'il ne sorte, et me préparais à lui poser des
questions, quand je fus frappé par le visage triste qu'il arborait.
Ce qu'il m'expliqua succinctement, autant que lui permettait son
état, était que le mage de la cour était mort dans d'atroces
souffrances. Il avait passé des heures à délirer à propos d'un
portail dans le vide et de démons d'une autre dimension qui nous
attaquait et annihilait le royaume. Je gardais malgré moi un visage
neutre, essayant de ne pas faire éclater la tristesse qui venait de
prendre possession de mon corps. Bien qu'étant un affreux
professeur, le mage était une personne adorable, droite, juste, et
qui était appréciée par l'ensemble de la cour. Apprendre sa mort,
qui plus est dans d'atroces souffrances, me choqua plus que ce que je
ne pu alors m'en rendre compte.
Je ne su que faire, et restais là, debout près de la porte, à
attendre, incapable de faire quoi que ce soit par moi même. Des
minutes, peut-être même des heures, passèrent, lorsque l'un de mes
tuteurs assit autour de la table du débat me remarqua, se leva et
vint voir ce qui se passait. Je lui expliquais ce que je venais
d'apprendre, et que je ne savais donc que faire. Il essaya
d'être gentil avec moi, mais on pouvait voir que la situation
actuelle l'affectait profondément lui aussi, et qu'il contenait avec
difficulté la colère qui l'habitait. Ce fut donc un peu sèchement
qu'il me demanda de retourner chez moi, que ma soirée était libre.
Ma maison, héritée de mes parents, se trouvait collée aux
remparts, non loin de la basse-cour. Lorsque je sorti du château
pour m'y diriger, je fus frappé par la clameur qui semblait venir de
la cour aux animaux. Les chiens, chevaux, cochons, vaches et moutons
criaient, hurlaient, beuglaient tous, ce qui ne manquait pas
d'effrayer les bergers, qui couraient d'un enclos à un autre, pour
tenter d'apaiser les bêtes. Je ne pris pas la peine de chercher à
réfléchir à propos de ce phénomène, et rentrais chez moi,
montais dans ma chambre et me mis sur le lit. Je restais couché
ainsi pendant plusieurs heures, avant que le sommeil ne vînt me
chercher.